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Pourquoi l’acier?
Les lignes dans l’espace de Robert Schad
par Annette Reich
Dans quelle mesure le travail de l’acier est-il pertinent et approprié à notre époque? Comment percevons-nous l’acier comme moyen d’expression, par rapport au bois, au bronze, aux matières synthétiques, à la pierre? Quelles idées peut-il véhiculer?
La question du matériau, posée par l’artiste lui-même, concerne ses positions, ses objectifs actuels et futurs. Reprendre un matériau traditionnel tel que l’acier dans une période de grandes mutations et de nouvelle orientation dans tous les domaines, aussi dans les arts plastiques, telle que le début du XXIe siècle, a son importance dans l’apparition d’idées et de perspectives nouvelles qu’il ne faut pas sous-estimer. La question est donc justifiée.
L’acier fait naître en nous des associations très précises. C’est un matériau résistant. Caractérisé par la lourdeur, la stabilité, la densité, l’immobilité. On pense spontanément à l’industrie lourde, aux gratte-ciel ou aux machines. Il est d’autant plus étonnant que nous ressentions un impact que nous ne rapprochons pas automatiquement avec ce matériau. Notre attente n’est pas déçue quand des contraires se manifestent de manière sensible : légèreté au lieu de lourdeur, instabilité au lieu de solidité, espace au lieu de densité et mouvement au lieu de rigidité. De nouveaux niveaux d’interprétation apparaissent et ouvrent une autre perspective de perception.
La notion de perception décrit diverses modes d’expérimentation de la réalité, conscients et inconscients. L’attention peut se fixer sur l’extérieur ou sur l’intérieur ; des réalités existantes ou imaginaires peuvent se situer au centre de l’attention. « Le déclencheur de perceptions conscientes réside dans l’expérience du décalage entre les stimuli auxquels nous sommes exposés, et les attentes que nous avons créées sur la base de nos perceptions antérieures. Notre attention est sollicitée par des configurations de stimuli caractérisés par l’ambiguïté ou la complexité. » (cf. Ursula Brandstätter, Questions fondamentales de l’esthétique, Image-Musique-Langage-Corps, Cologne, Weimar, Vienne 2008, p. 99). Les sculptures en acier de Robert Schad incarnent particulièrement une telle complexité. Les formes qu’il crée prouvent que l’acier est aujourd’hui un médium artistique approprié et reconnu.
Dans ce contexte, il vaut la peine de jeter un œil sur le fragment en tant que forme artistique. Par fragment on entend partie d’un tout et recherche d’un contexte plus grand, d’un tout, d’une globalité. L’assemblage de plusieurs de ces éléments en acier implique la liberté la plus grande possible durant le processus de création et permet la découverte d’un nouveau champ de créativité au regard de la éalisation d’une idée. Détaché des caractéristiques intrinsèques du matériau, l’acier permet autonomie et indépendance, une virtualité quasi illimitée ; le résultat n’est en aucun cas morcelé, il présente au contraire une densification, une ouverture vers le futur. « Je coupe et j’ajoute, j’essaie de dépasser le matériau, poussé par la vision utopique du naturel. », explique Robert Schad. « Le résultat fixé au moment du regard est un mouvement suspendu. Avec l’acier je représente particulièrement la croissance, le déroulement de l’expression dansée. Mes sculptures sont des fragments de l’infini dans le temps. »
Robert Schad fait partie des sculpteurs de l’acier les plus importants de notre époque. Ses œuvres reflètent de multiples aspects thématiques de l’homme, de la nature, de l’architecture, de l’espace (vital) et abordent des réflexions essentielles sur la société de notre époque où les valeurs sont de plus en plus remises en question ou semblent se volatiliser. Dans ses formes abstraites Schad cherche à libérer des forces élémentaires et à transmettre des expériences existentielles. Pour cela, il n’utilise aucun matériau naturel, seulement l’acier, un matériau qui incarne le progrès industriel et sert généralement à fabriquer des machines, des structures porteuses et des armes. Partant de cette position fondamentale de dialogue, il ne cesse de soumettre son travail à un contrôle de pertinence et de modernité et y puise cette énergie indispensable aux processus créatifs.
La ligne et son mouvement physique dans l’espace est le thème central des œuvres de Robert Schad. Qu’elles soient debout, allongées ou en équilibre, les formes filigranes dressées ou compactes, ramassées sur elles-mêmes semblent toujours en mouvement. Ce sont des lignes d’acier, écrites dans l’espace, impassibles et gracieuses, condensées et menaçantes ou liées les unes aux autres avec légèreté ; des lignes qui transforment les espaces non définis en lieux concrètement préhensibles. Mises en scène de l’espace, elles réinterprètent l’espace public et privé, l’espace naturel, l’espace du musée et de la ville ou de l’église, et permettent de multiples perceptions. Les tensions se déchargent. Les lignes d’acier ne touchent le sol qu’en très peu de points. Sans commencement ni fin, elles se meuvent dans l’espace vers le haut et vers le bas, décrivent des formes irrégulières qui laissent voir à l’intérieur et au travers.
La ligne et l’espace sont des moyens d’expression artistique qui déterminent également les œuvres murales. On peut poursuivre dans différentes directions les réseaux virtuels de lignes interprétées comme des extraits et qui ressemblent à un labyrinthe. L’ouverture domine en dépit des limites esquissées et des champs fermés. Des lignes d’acier de diverse longueur s’étendent par exemple à la verticale et à la horizontale, décalées les unes par rapport aux autres vers le haut et vers le bas. On note aussi que les intervalles varient et qu’une certaine dynamique entre en jeu. Parallèlement aux sculptures, l’artiste exécute des dessins noir et blanc de grand format, partiellement composés de plusieurs éléments peints sur tôle d’acier, et qui s’imposent comme œuvres à part entière face aux créations spatiales en acier. On est en présence d’études détaillées sur des idées de mouvement, des fragments non finis. Des lignes noires horizontales, telles des barres, parallèles ou placées en quinconce, semblent flotter librement dans l’espace, se touchent, se condensent pour former une surface ou rejoignent des lignes verticales. Combinées l’une à l’autre, ces œuvres bi- et tridimensionnelles ont un effet réciproque, idéal de par leur matérialisation des points de contact et des contrastes.
Robert Schad place le dialogue des forces contraires au centre de sa recherche artistique. Son travail est animé par la quête de liens entre des éléments apparemment incompatibles. Ses sculptures suggèrent à la fois la fermeture et l’ouverture : elles sont en mouvement et statiques, légères et lourdes, déstabilisées et solides. Cette impression tient surtout au caractère du matériau utilisé par l’artiste et à la manière dont il le travaille. Toutes ses sculptures, murales et posées au sol, les œuvres d’une seule ou de plusieurs pièces, les grandes sculptures qui se déploient largement dans l’espace public et privé, ainsi que les petites sculptures présentées sur un socle sont composées de barres d’acier massif de 45 à 160 mm de diamètre, étant précisé que la coupe transversale de la plus petite unité est à l’échelle de sa main.
Le processus de création commence par une réflexion sur ses propres perceptions. Pour fixer une première inspiration, l’artiste exécute d’abord quelques petites esquisses sur papier et les transfère ensuite dans l’espace. La sculpture est construite et soudée spontanément à partir d’éléments en acier taillés au préalable. Le côté aléatoire a son importance dans ce processus même s’il est subordonné à un agencement conscient. Certains éléments peuvent être enlevés et remplacés, comme c’est le cas pour une composition musicale. Une méthode expérimentale que Robert Schad appelle « découpe », « fragmentation » ou même « cristallisation de situations ». Cela lui permet de visualiser les forces contraires existant dans l’espace. Ici, la dureté de l’acier et l’impression de sa malléabilité déterminent le caractère des sculptures dont les surfaces sont noircies à la flamme et cirées. Lourdeur matérielle et légèreté dématérialisée concluent une union idéale.
Le travail systématique sur la ligne et, dans ce contexte, sur la résolution des problèmes plastiques formels élémentaires, la conversion ciblée de ses positions et le choix volontaire du matériau font de Robert Schad un des plasticiens les plus importants du XXe et du XXIe siècle qui font un travail comparable au sien. La comparaison avec des artistes tels que Julio González, Norbert Kricke, Carl Andre, Bernard Venet, Franz Bernhard, Anthony Caro, Eduardo Chillida et Richard Serra met en évidence les similitudes et les différences qui explicitent le style de Schad.
Quand il parle de sa manière de travailler, Robert Schad emploie l’expression « écriture spatiale » soumise à une perpétuelle mutation. Les barres d’acier massives, rigides et résistantes, sont liées les uns aux autres et forment ainsi des lignes plus ou moins courbes dont l’expression va des traits d’écriture réguliers et parfaites aux signes abstraits dans l’espace. Ici, forme et caractère ne sont pas du tout fixés, mais soumis à une mutation permanente. Cette mutation et ce renouvellement successifs caractérisent une transposition plastique qui n’écrase pas sa forte expressivité personnelle. Constance et mutation se complètent parfaitement.
Les débuts du procédé visuel développé peu à peu par Schad remontent aux années 30. A l’époque, le sculpteur espagnol Julio González adopta un mode d’expression avec lequel il accomplit la dématérialisation de la masse par un tracé abstrait de la ligne. Pour le sculpteur, il était essentiel de relier forme réelle et forme imaginaire. González fit de la sculpture métallique une technique visuelle propre et forgea avec ses figures gestuelles abstraites le concept de « dessin dans l’espace », donnant ainsi aux artistes qui suivirent, dont Schad, une impulsion décisive.
Le dialogue entre ligne et espace, décisif pour Robert Schad, est aussi au centre du travail de Norbert Kricke. Cet artiste, né à Dusseldorf, fait partie des sculpteurs qui influencèrent l’art de l’après-guerre en Allemagne de manière déterminante. Dès 1949, il développa le concept de « plastique spatiale ». Des signes géométriques, composés de lignes droites et d’angles aigus se déploient dans l’espace comme un mouvement libre. Sa dématérialisation du volume plastique a marqué une nouvelle étape dans l’art plastique constructiviste. Même si l’impact esthétique formel des œuvres de Schad est tout à fait différent, les deux artistes sont quand même proches dans leur fort désir de liberté en matière de mode d’expression sans compromis. De par leur forme ouverte, leurs œuvres renvoient à l’infini, à la non-limitation de l’espace et le rendent visible. « La ligne d’humeur qui a tous les droits », dit Schad, « autorise chaque mouvement imaginable ressenti, car elle permet une liberté incroyable et, plus encore, elle est la condition préalable de la liberté absolue. »
La référence à Carl Andre, l’un des principaux représentants du Minimal Art, est intéressante. En 1965 fut créée la première « plastique horizontale » du sculpteur américain : un ensemble de plaques d’acier posées à plat sur le sol qui rend l’espace perceptible. Pour Carl Andre, ce n’est pas la position verticale liée au corps humain qui est déterminante, mais la direction horizontale, à l’instar du paysage. Le spectateur devient utilisateur de la « plastique horizontale », perçue non pas comme un vis-à-vis physique, mais s’ouvrant sur l’espace.
Dans ce contexte, il est important de rappeler qu’à la fin des années 60, Carl Andre créa des plastiques au sol de plusieurs mètres de long formant une ligne irrégulière composée de clous mis bout à bout ou de fins tubes métalliques englobant le vide. Ce qui est déterminant, ce n’est pas seulement la recherche de la ligne et de l’espace, mais aussi la souplesse qui caractérisent l’œuvre de Schad. Ce qui est particulièrement intéressant, ce sont les points où se rencontrent les divers éléments : « Ce sont des points de fusion où l’angle droit perd généralement de sa puissance et où prennent corps des formes qui font plutôt penser à des articulations organiques qu’à des raccords techniques. » Chez Schad, il s’agit « d’un mélange hautement original d’analyse combinatoire technique et de conception de façonnage. » (d’après Peter Anselm Riedl, Robert Schad « Une croix pour Fátima » in : Robert Schad, « Une croix pour Fátima », Freiburg en Br. 2008, p. 5.). Andre utilisait divers éléments formels comme moyens autonomes d’expression artistique qui, dans leur impression d’ensemble, n’ont aucune référence figurative, alors que dans les sculptures de Schad, on trouve une tendance vers le mouvement dansé et, par là, le rapport entre les positions du corps humain et sa capacité au changement.
Dans ses monumentales œuvres murales et au sol, le plasticien français Bernar Venet, tout comme Robert Schad, s’intéresse avant tout à la ligne en tant que représentation dans l’espace. Mais il y a une différence cruciale entre eux : les sculptures de Venet sont des signes monosémiques qui n’ont qu’un seul niveau sémantique, libres d’associations figuratives, formelles et significatives. L’acier n’est là en tant que matériau que pour lui-même. En 1979, Venet se mit à réaliser des sculptures en acier dont l’objectif était de créer une esthétique mathématiquement objective, rejetant toute idée de geste subjectif, caractéristique de l’œuvre de Robert Schad. Venet créa aussi des sculptures qu’il définit comme des « lignes indéfinies » et poursuivit avec elles son idée de monumentalisation de la ligne. Ces sculptures ne contiennent aucun calcul mathématique. Elles se déploient dans l’espace en forme de spirale ou bien sont composées de barres de fer aux courbes irrégulières, allongées sur le sol dans un ordre aléatoire. Pourtant, ces œuvres font aussi partie des « dessins géométriques » dans l’espace. Tandis que Schad construit ses sculptures en leur ajoutant différentes pièces, Venet, lui, découpe ses œuvres dans des plaques d’acier et les cintre en une suite de mouvements spiralés.
Même si le corps humain et ses divers positions s’éloignent fortement du modèle, ils sont pourtant présents dans l’œuvre de Robert Schad. On pourrait qualifier son style d’ « abstraction associative et contextuelle ». L’artiste se voit dans le rôle d’un chorégraphe dont les danseurs sont ses sculptures. Dans leur mouvement interrompu, ils incarnent aussi bien ce qui appartient au passé que ce qui est à venir et, de cette manière, portent en eux-mêmes la notion de temps. Il est important que le spectateur tourne réellement autour des œuvres pour pouvoir modifier sa perspective du figuratif vers l’abstrait et vice et versa. La perception est sous le signe d’une perpétuelle mutation. On peut aussi entrer dans quelques unes des œuvres, y pénétrer et ainsi faire partie de l’œuvre d’art. Une possibilité d’appréhension non seulement visuelle, mais aussi physique d’un lieu concret. L’artiste qui crée ces œuvres, entreprend un voyage dans son propre moi où le spectateur peut aussi se rendre. Ici, des voies d’accès sont ouvertes par le biais de l’expérience, du souvenir et de l’association subjectifs.
Dans l’expression artistique de la danse qui compte beaucoup dans la sculpture de Schad, le corps joue un rôle important. Il est transmetteur de l’expression non seulement par la parole, mais aussi par la mimique et le geste. Les messages transmis par le corps sont en rapport avec un état spatial et temporel unique que l’on ne peut donc pas reproduire. Les signes émis par le corps transmettent un grand nombre de qualités sensorielles que nous percevons dans notre propre corps comme expérience directe. Sentiments et états d’âme sont exprimés. En ce sens, quand Schad donne une forme durable à l’idée d’expression corporelle dans ses sculptures d’acier, il crée des témoignages uniques, non reproductibles.
Franz Bernhard qui part du corps humain, a influencé le jeune Schad. Cependant sa conception du corps vu comme fragment est bien différente. La majorité de ses œuvres réalisées en acier et en bois sont d’un effet massif, lourd et pesant dans leur mouvement. Elles n’ont rien de la légèreté ludique caractéristique des corps linéaires en mouvement créés par Schad. Sans visage et débarrassé de toute individualité, l’abstraction est ici si avancée que l’artiste lui-même parle d’un « signe anthropomorphe ». Tandis que les œuvres occupent l’espace dans leur ensemble et prennent leurs distances avec lui, les sculptures de Schad s’ouvrent à l’espace et l’intègrent. Le corps devient ici un lieu d’accueil polysémique des sensations humaines.
Le sculpteur anglais Anthony Caro, qui fut l’assistant de Henry Moore au début des années 50, rejeta la sculpture figurative et déstructura le volume pour en faire des surfaces et des lignes purement abstraites. Apparurent alors des tôles métalliques, des poutres en T et des sculptures de table horizontales, peintes, qui n’appelaient aucune interprétation d’ordre figuratif. Avec la méthode de conception de la soudure de plusieurs éléments en tant que procédé additif que l’on retrouve aussi chez Robert Schad, bien que dans une autre forme et avec un effet spatial tout à fait différent, ce dernier est dans la lignée de Julio Gonzáles et David Smith. Ce qui relie Caro et Schad, c’est une manière de travailler dans laquelle les œuvres ne trouvent leur forme définitive qu’au cours du processus de création et développent ainsi une certaine forme de vie propre.
Dans l’œuvre de Robert Schad, la forme ouverte et fermée, la masse et le vide sont utilisés comme moyens d’expression à parts égales. Les œuvres quasiment compactes et denses se caractérisent pourtant par un mouvement qui leur est inhérent quoique restreint. Par contre, l’œuvre de l’artiste basque Eduardo Chillida, éminent représentant de la sculpture non figurative, est caractérisée par la forme figée. Dans ses sculptures en fer linéaires et déliées et ses massives œuvres en acier qu’il réalise depuis la fin des années 60, il crée une tension entre la masse et le vide, même s’il met l’accent essentiellement sur l’espace ouvert. L’ordonnancement des blocs de forme fermée et des compositions ouvertes de forme coudée fait apparaître le vide. L’espace rentre dans la matière ou est englobé par elle. La série des sculptures en acier « Windkämme » (en français ‘crêtes de vent’) en est une illustration évidente.
Les forces naturelles, telles que l’eau et le vent, ou les processus naturels de croissance des plantes deviennent visibles dans les sculptures en acier de Robert Schad. Son langage formel multiple nous livre différents points de repère autorisant une interprétation, d’autant plus nécessaires que ses œuvres sont pourvus de titres sans signification concrète. Ces derniers nous emmènent dans un monde secret, énigmatique et ambigu que l’on doit déchiffrer à l’aide de sa propre imagination. La série ou plutôt les variations d’un motif qui acquiert une signification particulière chez Chillida, ne joue aucun rôle chez Schad. Tandis que Chillida a réalisé des petites esquisses devant servir à la réalisation de futures sculptures destinées à l’espace public, les petites sculptures de Schad, même si elles paraissent monumentales, ne sont travaillées que dans une seule taille et ne sont pas conçues comme préliminaires des grandes sculptures.
Les monumentales œuvres en acier de Schad exposées dans l’espace public et privé, incarnent entre autres solidité et instabilité. Elles penchent, se meuvent en s’éloignant du milieu et de par leur manière de trouver une équilibre, acquièrent une légèreté en totale opposition avec la lourdeur du matériau. Elles soulignent le contraste entre fermeture stable et ouverture instable. Reposer en soi et se mouvoir sont deux pôles exprimés à parts égales.
On connaît l’importance des grandes sculptures en acier de Richard Serra exposées dans l’espace public et les non moins impressionnantes œuvres monumentales de l’espace privé, composées de plaques d’acier combinées les unes avec les autres. Tout comme Schad, il crée des rapports spatiaux avec ses œuvres. L’artiste installé à New York qui a affirmé ses positions en se frottant aux courants des années 60, tels que le Minimal Art, le Concept Art ou le Land Art, prend entre autres pour thème le poids physique de gigantesques plaques cintrées en acier massif qui ont un effet de forte instabilité de par leur inclinaison ou leur agencement.
Serra utilise un vocabulaire simple, emprunté aux formes architectoniques, tandis que Schad se sert d’une « écriture dans l’espace » pour relier les contraires en une unité. Avec leurs œuvres hors pair, Schad et Serra occupent deux positions importantes dans la recherche sur les thèmes instabilité et stabilité, masse et fragilité, lourdeur et légèreté, symétrie et asymétrie. Le fait de pouvoir entrer dans certaines œuvres permet au visiteur de faire une expérience de l’espace et du temps spécifique et complexe non seulement d’ordre optique mais aussi physique. Les deux artistes ont en commun le désir de créer des œuvres destinées à un lieu précis. Leur intention particulière est de créer une interaction entre œuvre artistique, espace environnant et visiteur. Il faut citer ici une des récentes œuvres de Robert Schad où culmine l’objectif en matière de forme et de fonds : le « crucifix de Fátima ». Dans cette sculpture monumentale, caractérisée par un équilibre calculé au plus juste entre douleur terrestre et détachement transcendant, Schad réussit à former un signe pertinent pour toute la chrétienté. De nouveaux rapports sont créés qui appellent par là de nouvelles manières de voir. Ce qui est habituel apparaît soudain sous un autre jour. Face à de telles œuvres en acier, le visiteur se voit confronté toujours et encore à une impression multiple et sublime.